lundi 22 avril 2019

Organisation et spontanéité

Manifestation spontanée des ouvrières du textile en grève - Bangladesh, janvier 2019
La question de l’organisation et de la spontanéité a toujours été posée au sein du mouvement ouvrier comme un problème de conscience de classe, lié aux rapports de la minorité des révolutionnaires avec la grande masse d’un prolétariat imbu d’idéologie capitaliste. Tout portait à croire, disait-on, que la conscience révolutionnaire fût le propre seulement d’une minorité, laquelle, en s’organisant, l’entretiendrait et la traduirait en actes. Quant aux masses ouvrières, ce n’est que contraintes et forcées qu’elles passeraient à l’action révolutionnaire. Lénine envisageait cette situation avec optimisme. D’autres, à l’instar de Rosa Luxemburg, étaient d’un avis tout différent. Le premier visant à instaurer une dictature de parti, accordait une primauté absolue aux questions d’organisation. A l’inverse, Rosa Luxemburg, voulant parer au danger d’une nouvelle dictature sur les travailleurs, mettait l’accent sur la spontanéité. Ils étaient toutefois persuadés l’un comme l’autre que si dans certaines conditions, la bourgeoisie déterminait les idées et le comportement des masses laborieuses, dans d’autres conditions, une minorité révolutionnaire pourrait en faire autant. Mais, à l’époque même où Lénine considérait cela comme un facteur on ne peut plus favorable à la réalisation du socialisme, Rosa Luxemburg ne cachait pas ses craintes de voir une minorité quelconque, ayant accédé à la position de classe dominante, penser et agir à la manière exacte de la bourgeoisie d’hier.

dimanche 31 mars 2019

Le Groupe des com­mu­nis­tes inter­na­tio­na­lis­tes de Hollande

 

Le Groupe des com­mu­nis­tes inter­na­tio­na­lis­tes de Hollande 1934-1939

C’est le spi­ri­tuel trots­kyste hol­lan­dais Sneevliet (1) qui, dans les années 1930, qua­li­fia un jour, avec ce sens de la for­mule qui le caracté­risait, le « Groupe des com­mu­nis­tes inter­na­tio­na­lis­tes » de Hollande de « moines du marxisme ». Le trait était évid­emment cari­ca­tu­ral, mais il était plein d’esprit, et c’est pour­quoi il fut précisément estimé à sa juste valeur au sein du groupe. Comme toute cari­ca­ture, celle-ci conte­nait un cer­tain pour­cen­tage d’une vérité qui était, pour Sneevliet, poli­ti­que­ment inac­cep­ta­ble, mais aussi, pour le groupe lui-même, his­to­ri­que­ment irré­fu­table. Il s’agis­sait d’un point - entre autres - sur lequel il y avait une nette sépa­ration entre Sneevliet et le GIC. En tant que diri­geant d’un parti par­le­men­taire, qui col­la­bo­rait en outre étr­oi­tement avec un mou­ve­ment syn­di­cal bien précis, tous ses efforts ten­daient avant tout vers l’action poli­ti­que. Sneevliet ne pou­vait à vrai dire pas situer un groupe se com­por­tant tout autre­ment au sein du mou­ve­ment ouvrier de l’époque, un groupe pour lequel l’impor­tant n’était abso­lu­ment pas là, mais qui s’efforçait au contraire de tirer des leçons des expéri­ences des luttes passées et par conséquent de l’évo­lution éco­no­mique actuelle du capi­ta­lisme. Il le pou­vait encore d’autant moins que ce bilan théo­rique met­tait jus­te­ment en ques­tion l’acti­vité poli­ti­que en tant que telle, et donc direc­te­ment les formes orga­ni­sa­tion­nel­les tra­di­tio­nel­les qu’elle prés­up­pose.

dimanche 24 mars 2019

Le mouvement des Conseils ouvriers en Allemagne

Le mouvement des Conseils ouvriers en Allemagne (1919-1935)

LA REVOLUTION ÉCLATE

En novem­bre 1918, le front alle­mand s’effon­dra. Les sol­dats désertèrent par mil­liers. Toute la machine de guerre cra­quait. Néanmoins, à Kiel, les offi­ciers de la flotte décidèrent de livrer une der­nière bataille : pour sauver l’hon­neur. Alors, les marins refusèrent de servir. Ce n’était pas leur pre­mier soulè­vement, mais les ten­ta­ti­ves pré­céd­entes avaient été réprimées par les balles et les bonnes paro­les. Cette fois-ci, il n’y avait plus d’obs­ta­cle immédiat ; le dra­peau rouge monta sur un navire de guerre, puis sur les autres. Les marins élurent des délégués qui formèrent un Conseil.
Désormais les marins étaient obligés de tout faire pour géné­ra­liser le mou­ve­ment. Ils n’avaient pas voulu mourir au combat contre l’ennemi ; mais ils demeu­raient dans l’iso­le­ment, les trou­pes dites loya­les inter­vien­draient et, de nou­veau, ce serait le combat, la répr­ession. Aussi les mate­lots déb­arquèrent et gagnèrent Hambourg ; de là, par le train ou par tout autre moyen, ils se rép­an­dirent dans toute l’Allemagne. Le geste libé­rateur était accom­pli. Les évé­nements s’enchaînaient main­te­nant rigou­reu­se­ment. Hambourg accueillit les marins avec enthou­siasme ; sol­dats et ouvriers se soli­da­ri­saient avec eux, ils élirent eux aussi des Conseils. Bien que cette forme d’orga­ni­sa­tion ait été jusque-là inconnue dans la pra­ti­que, un vaste réseau de Conseils ouvriers et de Conseils de sol­dats cou­vrit promp­te­ment, en quatre jours, le pays. Peut-être avait-on entendu parler des Soviets russes de 1917, mais alors très peu : la cen­sure veillait. En tout cas, aucun parti, aucune orga­ni­sa­tion n’avait jamais pro­posé cette nou­velle forme de lutte.

dimanche 17 mars 2019

Les divergences de principe entre Rosa Luxemburg et Lénine

 
Rosa Luxemburg et Lénine se sont formés l’un comme l’autre au sein de la social-démocratie dont ils furent des figures éminentes. Leurs œuvres à chacun devaient non seulement exercer une influence considérable sur les mouvement ouvriers russe, polonais et allemand, mais encore avoir une portée historique universelle. Car tous deux incarnèrent l’opposition au révisionnisme et au réformisme inhérents à la II° Internationale, et leurs noms restent indissolublement liés à la réorganisation du mouvement ouvrier pendant et après la guerre mondiale. Ces marxistes, à la personnalité d’une trempe exceptionnelle, qui ne séparèrent jamais la théorie d’avec la pratique, furent – pour reprendre une expression chère à Rosa Luxemburg – des « chandelles brûlant par les deux bouts ».

lundi 4 mars 2019

Les conseils ouvriers et l’organisation communiste de l’économie

Ouvrières mexicaines participant à l'immense grève sauvage de Matamoros - Janvier 2019
 Nous avons reçu de Prague les thèses suivantes, parues dans le numéro 20 de Neue Front [1].  Elles sont publiées sous le titre « Marxisme révolutionnaire et révolution socialiste » par un groupe de marxistes-révolutionnaires « organisés dans la social-démocratie allemande ». Voici leur Conception de la voie vers le socialisme. Nos critiques suivent.

dimanche 17 février 2019

La question de l’Union soviétique


I. Moment décisif dans le développement de l’URSS de ces dernières années.
Quiconque a suivi attentivement la situation de l’URSS a dû remarquer combien de mesures extrêmement réactionnaires y ont été réalisées ces derniers temps : l’interdiction de l’avortement, 1’introduction de nouveaux grades dans l’armée, de nouveaux règlements scolaires autoritaires, et bien d’autres règlements.
Toutes ces mesures se meuvent le plus souvent sur le plan culturel politique et ne sont compréhensibles que lorsqu’on se donne la peine d’y voir la conséquence de raisons plus profondes, et dont l’origine plonge dans le domaine de l’économie. S’il est vrai que des modifications idéologiques qui représentent la superstructure d’une société présupposent des modifications analogues dans l’économie, on devrait pouvoir démontrer de telles modifications ou de tels déplacements de forces en URSS. En fait, rien n’est plus facile à démontrer.

dimanche 6 janvier 2019

Remarques générales sur la question de l’organisation


L’organisation, tel est le principe fondamental du combat de la classe ouvrière pour son émancipation. Il suit de là, du point de vue du mouvement pratique, que le problème le plus important est celui des formes de cette organisation. Celles-ci, bien entendu, sont déterminés tant par les conditions sociales que par les buts de la lutte. Loin de résulter de caprices de la théorie, elles ne peuvent être crées que par la classe ouvrière agissant spontanément en fonction de ses besoins immédiats.

dimanche 11 novembre 2018

L'autonomie ouvrière face au marxisme académique



Le dernier  article publié par le blog Marxist Sociology aura été de justifier son existence académique même, en niant la capacité de la classe ouvrière elle-même de se libérer du capitalisme.
L’objectif de notre réponse n’est pas de débattre du tortillage académique à l‘origine de leur affirmation à travers les textes publiés par Marx, mais de comprendre pourquoi une telle affirmation idéaliste peut encore avoir cours aujourd’hui chez les marxistes universitaires.
La question en effet n’est pas de savoir si effectivement dans la théorie marxiste il existe bien une affirmation de l’existence d’une conscience révolutionnaire ouvrière autonome, mais bien de savoir si « on a le choix » : c'est-à-dire si autre chose qu’une conscience révolutionnaire ouvrière autonome peut transformer le mode de production capitaliste en révolution communiste.

dimanche 16 septembre 2018

Lénine et sa légende


Plus le visage embaumé de Lénine jaunit et se parchemine, plus la queue des visiteurs à la porte de son mausolée s’allonge, et moins les gens s’intéressent au véritable personnage et à sa dimension historique. Chaque jour, de nouveaux monuments sont élevés à sa mémoire, des metteurs en scène en font le héros de leurs films, des livres sont écrits à son propos et les pâtissiers russes confectionnent des figurines de pain d’épice à son effigie. Mais les traits flous des Lénine en chocolat égalent bien les histoires inexactes et douteuses qui courent à son sujet. Et bien que l’Institut Lénine publie ses oeuvres complètes, elles ne signifient désormais plus rien en comparaison des légendes fabuleuses qui se sont développées autour de son nom. 

dimanche 26 août 2018

Les grèves

Iran : grève sauvage des ouvriers de l'usine sucrière Haft Tappeh - Février 2018

On distingue dans le mouvement ouvrier deux formes principales de lutte, le plus souvent connues comme le terrain politique et le terrain économique de combat. L’aspect politique se concentrait autour des élections de corps parlementaires ou d’autres corps semblables, l’aspect économique consistait en des grèves pour de meilleurs salaires et conditions de travail. Dans la deuxième moitié du XIX° siècle, les socialistes partagent l’opinion que le premier de ces aspects avait une importance fondamentale et était révolutionnaire, car il instaurait le but de la conquête du pouvoir politique au moyen duquel on révolutionnerait la structure de la société, on abolirait le capitalisme et on introduirait un système socialiste. Le deuxième aspect était seulement un moyen d’obtenir des réformes, de maintenir ou d’améliorer le niveau de vie au sein de capitalisme, ce système étant ainsi reconnu comme la base de la société.

jeudi 12 juillet 2018

L’idéologie marxiste en Russie



« Pour nous, le communisme n’est pas un état de choses qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses [1]. » - Karl Marx. 


Nous abordons ici l’un des exemples les plus typiques du décalage frappant qui, sous une forme ou sous une autre, s’observe dans toutes les phases du développement historique du marxisme. On peut le définir comme la contradiction entre l’idéologie marxiste et le mouvement historique réel qui, à une époque donnée, se cache derrière cette façade idéologique.

jeudi 10 mai 2018

Stalinisme et bolchevisme


Trotsky prétend qu’en rédigeant sa biographie de Staline (1) il poursuivait un but : montrer « comment une telle personnalité a pu se développer et comment elle a fini par usurper une situation exceptionnelle ». Tel est le but avoué. Mais le but réel est tout autre. Il s’agit de montrer pourquoi Trotsky a perdu la position de force qui était la sienne à un certain moment, alors que c’est lui qui aurait dû être l’héritier de Lénine, étant plus digne de cet héritage que Staline. Ainsi, avant la mort de Lénine, ne disait-on pas communément « Lénine et Trotsky » ? Ne renvoyait-on pas systématiquement le nom de Staline vers la fin, voire même à la dernière place, des listes de dirigeants bolcheviques ? N’a-t-on pas vu, en telle ou telle occasion, Lénine proposer de ne mettre sa signature qu’après celle de Trotsky ? Bref le livre nous permet de comprendre pourquoi Trotsky pensait qu’il était l'« héritier naturel de Lénine ». En fait c’est une double biographie : celle de Staline et de Trotsky.

mercredi 28 février 2018

La théorie générale du droit et le marxisme

Evgeny Pashukanis - La théorie générale du droit et le marxisme

Préface : Karl Korsch
Traduction et présentation actualisée de Jean-Marie Brohm
Collection Réverbération
ISBN : 9791096441068. Prix : 10 euros.
220 pages.
A paraître le 25 Mai 2018.
EDI / Éditions de l’Atelier.
 Le droit, qui enserre toujours plus chaque moment de nos vies et qu’on érige en « ultima ratio » et dernier recours de toutes les luttes sociales, est étrangement rarement critiqué en tant que tel. Dans ce classique du marxisme, considéré jusqu’à aujourd’hui comme la seule véritable critique du droit générée par ce courant de pensée, le théoricien russe, et future victime des purges staliniennes, Evgeny Pashukanis traite les institutions et l’idéologie juridiques comme des phénomènes historiques et, plus généralement, le droit comme un rapport social propre au capitalisme. À rebours des illusions habituelles concernant son intemporalité et sa neutralité, La théorie générale du Droit et le marxisme rappelle que le droit est avant tout un rouage majeur de l’exploitation de l’homme par l’homme.

dimanche 19 novembre 2017

Thèses sur le bolchevisme

I. LA SIGNIFICATION DU BOLCHEVISME

1. Le bolchevisme s’est créé un champ dos de pratique sociale dans l’économie et dans l’Etat soviétiques. Il a fait de la IIIe Internationale un instrument apte a diriger et influencer le mouvement des travailleurs à une échelle internationale. Il a élaboré dans le "léninisme" ses directives en matière de principes et de stratégie. Il reste à savoir si Ia théorie bolchevique exprime, comme I’a dit Staline, Ie marxisme à l’heure de l’impérialisme et si, dans ce cas, elle représente I’axe du mouvement révolutionnaire prolétarien international.

vendredi 20 octobre 2017

L'impérialisme et les tâches du prolétariat

Le déclenchement de la première grande guerre mondiale en 1914 a mis en lumière de façon éclatante deux faits : premièrement, la force gigantesque de l'impérialisme, deuxièmement, la faiblesse du prolétariat, et notamment celle de son avant-garde et de son guide, les partis sociaux-démocrates de presque tous les pays.
L'impérialisme se différencie de l'ancien capitalisme par le fait qu'il cherche à placer sous sa dépendance des parties du monde qui lui sont étrangères afin de trouver de nouveaux marchés pour ses produits, de nouvelles sources de matières premières et, avant tout, de nouvelles zones d'investissement pour ses masses de capitaux surabondantes. Durant la période de prospérité de ces vingt dernières années, les masses de capitaux ont grossi démesurément, et de ce fait, le désir de les investir avec un profit élevé dans les pays non-développés s'est emparé totalement de la bourgeoisie.

mardi 10 octobre 2017

Venezuela : Crise, manifestations, lutte politique inter-bourgeoise et menace de guerre impérialiste


– Le Venezuela est en crise parce que le capitalisme est en crise ; ou plutôt, la crise capitaliste mondiale s’exprime sous une forme dépouillée, brute et scandaleusement visible au Venezuela, non seulement au niveau économique, mais aussi politique, social, idéologique et probablement géopolitique et militaire maintenant et à l’avenir.
– La situation actuelle au Venezuela est une démonstration de l’échec des gouvernements du « socialisme du XXI° siècle » de gérer efficacement la crise capitaliste. Ce qui se passe, c’est que le Capital et sa crise sont ingouvernables : c’est le Capital qui gouverne la société et donc l’État, et non l’inverse. Croire le contraire est naïf, en revanche faire semblant de le faire, c’est du réformisme.

samedi 19 août 2017

Lutte autonome du prolétariat et intervention communiste


L'optique syndicaliste, revendicativiste, défendue par tout ce que le mouvement ouvrier compte d'activistes poussiéreux au service de la logique capitaliste mérite qu'on s'y attarde un peu, afin de régler le compte aux maniaques de l'échelle mobile, mais aussi de renvoyer à la niche tous les inactivistes de profession qui foisonnent dans le milieu ultra-gauche.
Si la lutte pour l'amélioration des conditions salariales a été l'un des facteurs essentiels de la lutte prolétarienne démarrée au XIXe siècle, le cercle vicieux de cet axe de lutte déjà dénoncé par les révolutionnaires est déjà ressenti intuitivement par la masse de la classe ouvrière ... L'amélioration toute relative du "pouvoir d'achat" n'a fait que révéler plus crûment l'aliénation profonde de cette société : consommer plus n'a pas fait de l'ouvrier d'aujourd'hui un être plus émancipé que son arrière grand-père !

jeudi 13 juillet 2017

L’insurrection ouvrière en Allemagne de l’Est – juin 1953


UN MOUVEMENT SPONTANÉ
Il existe une conception assez répandue qu’une révolution prolétarienne ne peut se réaliser qu’à condition qu’on ait créé avant des organisations puissantes et mis à leur tête une direction résolue qui formule des slogans et montre le chemin, C’est seulement une telle organisation et une telle direction qui pourraient stimuler les masses et les amener une résistance réelle. Ainsi, une avant garde politique serait la condition indispensable pour la lutte décisive qui seule peut briser le pouvoir de la classe dirigeante. Dans le passé, cette conception a été détruite pour une bonne part par la réalité historique. L’insurrection ouvrière d’Allemagne de l’Est de 1953 a relégué une fois de plus cette conception au royaume des fables.