mercredi 8 janvier 2014

A propos de l’autogestion

Les tentatives d’auto-gestion (ou les moments où celle-ci est apparue comme solution possible) qui se
sont déroulées durant les événements de mai [1968] ne sont intéressantes que parce qu’elles constituaient une critique des formes de gestion actuelle fondée sur une organisation hiérarchisée et fonctionnelle (ou prétenduement fonctionnelle) mais elles sont insuffisantes et posent le problème de l’analyse critique de l’auto-gestion, son "remplacement" dans un cadre plus global et plus radical.
En effet, toute tentative d’auto-gestion qui n’est pas fondée sur une critique radicale du monde existant ne peut contribuer qu’à le renforcer en l’aidant à résoudre ses propres contradictions, et par conséquent, entraîner une adhésion plus grandes de ses victimes, consentantes. Le monde existant est totalitaire, il tend à englober le plus de forces et d’énergies possibles, il tend donc à les intégrer, dans cette perspective l’idéal d’un régime totalitaire est de se faire gérer par ses propres victimes, ainsi elles deviennent plus que consentantes…

L’auto-gestion, quand elle est conquise par les masses (par la lutte ou par la nécessité de la survie) permet à ses masses de faire la preuve de leurs pouvoir, de s’émanciper.
Mais si ce processus ne met pas en jeu (ne détruit pas) l’idéologie dominante à laquelle ces masses ont adhéré par la force de la contrainte, de l’éducation, de l’information et de l’introjection les valeurs de cette idéologie sont renforcées car alors elles sont assumées, acceptées comme des réalités et au lieu d’avoir fait la révolution, on a renforcé la répression, même en détruisant la classe qui était liée fondamentalement à cette idéologie, et on risque de ne rien y voir. Car en fait, actuellement, la vie de chaque individu, quotidiennement, est façonnée plus ou moins complètement par cette idéologie.
Quand les Assurances Générales Françaises se sont posées le problème de l’auto-gestion, elles se sont posées un faux problème, c’est le problème de leur disparition qu’elles auraient dû se poser car enfin qu’est-ce que le phénomène du développement des assurances signifie?
Il ne s’agit pas d’auto-gérer n’importe quoi. Naturellement, étant donné le processus suivi par cette entreprise, il est possible qu’elle ait pu dépasser la simple autogestion, mais qui posera sans angoisse, le problème du sens de son métier, de son utilité alors que les principes sur lesquels l’idéologie dominante repose est celui de la justification de la vie par le travail.
Et alors, si tout le secteur tertiaire suivait le même processus, nous nous trouverions avec une auto-gestion de la Survie Organisée Bureaucratiquement, etc…
Il est évident que toute révolution doit passer par une critique idéologique de l’ensemble du système auquel l’idéologie se rapporte et une destruction de cette idéologie. (État, Travail , Productivité, Famille, Patrie,…). La Révolution est donc le lieu et le temps privilégié de la critique, la révolte y trouve sa dimension, sa justification. En dehors de ce temps, la révolte est sans issue et la critique idéologique reste un discours, mais toutes les deux restent toujours nécessaires.

Serge BRICIANER

Extrait d'un article non signé de Serge Bricianer dans ICO N°74 (octobre 1968) numérisé et mis en ligne par LA BATAILLE SOCIALISTE.