samedi 11 juillet 2015

Paris : la bourgeoisie-bohème contre le péril jaune


La lutte des classes ce n'est pas qu'au boulot, dans l'ensemble de la vie quotidienne nous sommes confrontés à un certain nombre de tensions touchant aux différentes formes de consommation, au logement, à l'urbanisme, ... A Paris et proche banlieue, l'arme du développement capitaliste est un groupe social pseudo-bohème, issu réellement de la classe bourgeoise, et, dans la pratique, véritable avant-garde du nettoyage social et ethnique par les formes de domination économique. Contre capital (essentiellement basé en banlieue sud parisienne) ouvre ici le dossier des tensions de classe produites par l'offensive du groupe social "bobo" (bourgeois-bohème) afin d'amorcer une riposte de classe pratique qui devra prendre différentes formes selon les circonstances.

La bourgeoisie-bohème, crypto-identitaire dans son essence, représente le faux-exotique consommable dans ce qu'il a de plus ridicule, il est ce point culminant lorsque la recherche d'authenticité élitiste rejoint le goût plouc de la caricature rassurante. Le "bobo" consomme le cliché, mais un cliché raffiné et coûteux qui le distinguera toujours du plouc reptilien ordinaire de la petite-bourgeoisie. C'est également son paravent pour s'armer psychiquement contre l'altérité provisoire (son objectif étant la destruction de l'altérité à moyen terme par les armes économiques et juridiques) afin de rendre celle-ci supportable au quotidien dans sa confrontation avec notre culture prolétarienne (bruit, langage, etc.). Enfin le croit-il au moins. Car le prisme exoticomane par lequel il regarde la réalité a l'effectivité d'un lance-pierre contre un éléphant. Il le ressent, et dans son mouvement de colonisation marchand en plus de la spéculation immobilière inhérente à son offensive, le "bobo", (fondamentalement bourgeois, il a un goût très prononcé pour le commerce haut-de-gamme trendy), face à l'indigène social, perd vite patience car on lui a appris depuis sa plus tendre enfance que ses désirs devaient être assouvis au plus vite et que son rôle, socialement dominant, lui donnait la légitimité pour façonner l'univers urbain qui l'entoure.
La force du "bobo" c'est qu'effectivement ce monde est réellement le sien puisqu'il est le monde de la marchandise, du pouvoir social et donc des capacités juridiques qui y sont liées.
Un article publié récemment fait état de ces tensions en décrivant une situation emblématique de la volonté de nettoyage tant social qu'ethnique de la part de la bourgeoisie "bohème" afin de construire un univers à leur image, blanc, élitiste et marchand. Le mérite de cet article, Les boutiques branchées veulent virer les masseuses thaïes de leur rue, n'est pas tant dans sa description de ce processus de gentrification par l'avant-garde bourgeoise trendy que la retranscription du discours "bobo" qui, trahi par le choix des mots, révèle la volonté consciente d'épuration sociale par cette fraction de la bourgeoisie.
C’est Julie qui mène la fronde. Cette 2e semaine de juin, elle tient une mini AG anti salon thaï devant sa boutique. « On ne veut pas d’eux ici. On ne va pas se mentir, c’est de la prostitution », assène t-elle perchée sur des bottines imprimées léopard.
On lit ici la construction impitoyable du refus de l'altérité de la bourgeoisie trendy blanche élitiste. Il y a clairement un "nous", et, en face, un "eux". Le "eux" ce n'est bien évidemment pas le petit commerçant exotique à la fonction sociale rassurante, le "bobo" sait reconnaître ceux qui leur ressemblent d'une certaine façon. Pourvu qu'ils ne soient pas trop nombreux.
Soit, c'est de la prostitution, ou plutôt une forme assimilée, ce que ne peut pas comprendre l'hypocrisie bourgeoise. Mais par dessus tout "on ne veut pas d'eux ici". Cette hypocrisie bourgeoise est parfaitement capable de reconnaître la prostitution comme nécessaire à l'exercice de sa violence sociale, autant de marqueurs de classe qui s'impriment symboliquement sur le corps des femmes prolétariennes (nous excluons de cette catégorie les quelques prostituées "privilégiées" blanches des beaux-quartiers, ceci est un autre débat). La porte-parole de la bourgeoisie-bohème commerçante s'inquiète-t-elle du sort des employées des salons de massage et de leur exploitation ? Absolument pas. Ce n'est pas bien, c'est sale, celui nuit à l'image du commerce du quartier : cela doit être fait ailleurs. Mais quel est donc cet ailleurs énigmatique qui pourrait accueillir de telles activités ?
A ses côtés, une daronne, la soixantaine, cheveux poivre et sel, met en avant l’ambiance familiale du quartier. Pour elle c’est évident : entre le boucher, le barbier et le bar au mobilier chiné, la présence des salons de massages fait tache.
On ne sait pas ce qu'est une "ambiance familiale" pour un quartier d'habitation. Essentiellement la fonction d'un quartier dans lequel se trouve des commerces "de proximité" (par opposition aux "quartiers d'affaires") c'est d'être habité. Est-ce à dire que certains quartiers où résident des familles ne méritent pas d'être définis par "une ambiance familiale" ? Selon le profil social/ethnique se dessine encore ici l'interprétation fondamentalement raciste du monde urbain par cette gauche libérale "bobo". Le quartier "populaire" n'a pas d'ambiance familiale, il est habité par des fratries, il y règne des meutes dans leur imaginaire de classe, l'attribut du qualificatif familial ne peut donc pas s'appliquer à de tels quartiers. Selon le bourgeois-bohème, la sauvagerie ne peut pas accéder à la civilisation familiale. Y déporter alors les activités de peu de morale semble donc logique pour eux et est parfaitement illustré ici lorsque l'une des commerçantes affirme qu'on ne veut pas d'eux ici. L'ailleurs, privé de l'ambiance familiale, lourde de sous-entendu dans ce que cela signifie pour le conservatisme bourgeois, peut alors parfaitement s'accommoder de ce que les bourgeois ne veulent pas voir. Ainsi, l'espace de la sauvagerie, en attendant d'être conquis par la peste bobo, marge aux confins du monde civilisé de la marchandise, espace désarmé économiquement et juridiquement par la société capitaliste, doit accepter sans sourciller ce que la bonne société bourgeoise refuse elle-même.

« Les Chinois veulent occuper la place, se refiler le bail et ne jamais le rendre. En face, un salon de thé est en train de fermer. Les Chinoises, elles, font le pied de grue pour le récupérer »
Le "péril jaune" ainsi exprimé menace alors l'image marchande du monde bourgeois. Les mécanismes d'exclusion s'articulent alors dans la construction d'un espace consommable. Intrinsèquement, derrière chaque bourgeois, c'est la marchandise qui se cache derrière chaque discours du mépris social et de la ségrégation ethnique. La lutte des classes est alors également la lutte pour l'espace et, plus généralement, la lutte pour une autre vie sociale, au delà du monde de la marchandise.

Contre capital - juillet 2015.