mardi 21 juin 2016

Le militantisme et sa meute patriarcale - Ça pue, camarades sexistes - Dans la lutte : culture de classe et pas culture du viol.


On a décidé de relayer ici deux textes dénonçant la boue militante ultra-radicale en carton pâte. On espère que ces textes seront relayés ailleurs. Ce qu'ils dénoncent ce ne sont pas des "anecdotes" c'est un véritable mécanisme de domination et de violences psychologiques, et d'appels à d'autres violences, physiques, en les banalisant. Il y est question largement de la manifestation du 14 juin et de son "cortège de tête". Le concentré de virilisme et de mythomanie qui s'y illustre porte sans appel la marque des paumés du militantisme. Militant, petit soldat des causes manipulatrices et des métaphores guerrières tout inspirées de la sémantique des frustrés du patriarcat. Le premier texte "Ca pue, camarades sexistes" décrit des faits graves, dans l'indifférence presque générale. Sans toutefois aller jusqu'au bout de la logique : la critique du militantisme, de ses références guerrières et de ce petit monde d'égos mâles en souffrance qui y est intrinsèque. Au fond le problème c'est d'imaginer qu'il puisse exister des "camarades" dans le milieu toxique militant.
Le second texte est issu d'un groupe politique anarchiste organisé (la CGA), groupe d'échappés de la maison de redressement "fédération anarchiste", dont les militantes ont créé un Front Antipatriarcal. Quand on connait la dose de mythomanie viriliste dans ce milieu militant, anarchiste ou gauchiste, on souhaite bien du courage à ces camarades. A voir la haute dose de caricatures de prolos virils sortis tout droits de la mythologie thorézienne qui polluent les visuels des tracts et revues organisationnelles (dessins de l'ouvrier -mâle et blanc- en bleu de travail et photos de métallos aux gros bras pour illustrer le moindre sujet social) cet univers asphyxiant laisse peu de place à une appréhension globale du monde ouvrier dans toute sa diversité et surtout dans sa réalité actuelle.
On souhaiterait plus de cohérence et de condamnation face à ce piteux univers militant patriarcal. Mais cette loi du silence existe également chez certaines féministes qui ne souhaitent pas condamner certaines formes de viol. Que les militants patriarcaux ne soient pas gênés par la mise en marchandise du viol sous la forme de la prostitution (là où il n'y a pas de désir il y a du viol, une mise à disposition du corps féminin pour les mâles en échange d'une "compensation" en argent, la culture du viol commence également là camarades) est une chose peu étonnante, cela l'est plus lorsque cela vient de militantes auto-proclamées anti-sexistes.

Ça pue, camarades sexistes

La manif du 14 juin m’a laissé un goût amer, pas seulement en raison des violences policières et de la manipulation médiatique qui s’en est suivie, mais également parce qu’elle a constitué pour moi une piqûre de rappel de la vivacité de la culture du viol dans nos milieux militants.
Mardi 14 juin, je suis allée manifester contre la loi travail, comme des centaines de milliers d’autres personnes. Arrivée un peu tardivement place d’Italie, en route pour rejoindre deux camarades déjà parti.e.s avec le cortège de tête, je me sens galvanisée par les drapeaux s’agitant à perte de vue dans tous les boulevards confluant sur la place, elle-même noire de monde et rouge d’éclats de rire, le cortège dense, interminable. Au bout de quelques minutes, un slogan vint me cingler les tympans et entamer mon enthousiasme :
C’est Julie qu’il faut baiser, pas les salariés ! [1]
Non contents d’avoir, dans un élan viriliste nauséabond, traité en chœur la ministre du travail de « salope », ou encore d’avoir appelé au viol punitif à son encontre lors de précédentes manifestations [2], ils appellent désormais à s’en prendre également aux femmes « qui couchent avec l’ennemi ». Fantastique. Eh dites, on leur rasera le crâne à la « Libération » aussi ?


J’essaie de ne pas trop me braquer et de poursuivre mon chemin pour aller retrouver mes camarades. En route, je fais les frais d’œillades appuyées et de commentaires sur mon apparence physique et/ou ma tenue, dont le classique mais non moins flamboyant « C’est pas très malin de venir habillée comme ça ». Vous l’aurez sûrement deviné : je suis en jupe. Je ne scande pas les slogans avec moins de conviction ou de coffre, en jupe. Je ne marche ou ne cours pas moins vite, en jupe. Je peux même pisser plus facilement dans un buisson, en jupe. Je ne suis pas plus vulnérable aux lacrymos, ou aux coups de tonfa, en jupe. La seule chose de laquelle je ne suis pas à l’abri contrairement à vous, et ce, quelle que soit ma tenue, c’est de commentaires sexistes.
Les affrontements avec la police ont commencé peu de temps après que j’ai retrouvé mes camarades. Du gaz, beaucoup de gaz. Pas vu ça depuis le mouvement Gezi Park, à Istanbul, où j’étais il y a trois ans. Des canons à eau. Des coups. Des projectiles parfois lancés au petit bonheur la chance qui s’écrasent malencontreusement sur des militant.e.s même pas casqué.e.s. Des déflagrations, à n’en plus savoir si c’était des pétards lancés par des militant.e.s ou des grenades de désencerclement. Des voltigeurs qui tournent sur la place des Invalides, des voltigeurs, comme l’étaient les ordures qui ont traqué puis assassiné Malik Oussekine en 86. J’apprends qu’un militant s’est pris un projectile dans le dos, que les policiers ont continué à frapper les gens venu.e.s lui porter secours pendant plusieurs minutes, et qu’il est aux urgences, dans un état grave.
Pluie de lacrymo, valse de pavés, charges de CRS. Le nuage corrosif et le déferlement de violence qui s’abat sur nous me coupent le souffle, plusieurs personnes autour de moi saignent de la tête, les larmes acides m’ont aveuglée quelques secondes de trop, j’ai perdu de vue mes potes, peur de les perdre tout court. Je demande à un militant qui a une bouteille s’il veut bien me donner un peu d’eau. Il me la tend en se fendant au passage d’un "Attention ya du GHB dedans !!!" avant de se fendre la poire avec son pote. Je les ai regardés avec dureté et ai dit : "Ce n’est pas drôle. Je me prends des lacrymo et des coups de matraque comme vous et vous cassez la solidarité entre nous avec ce genre de blagues. En plus des violences policières, nous on doit aussi être en permanence sur nos gardes à cause de ce genre de commentaires de la part des camarades, vous n’avez pas idée de ce que c’est de militer dans ces conditions pour nous."
Vous n’avez pas idée. Pas idée de ce que c’est que de se sentir comme une antilope face à une armée de chasseurs enragés et, dans la fuite, de se réfugier auprès de ce qu’on croyait être d’autres antilopes avant que l’une d’entre elles ne s’esclaffe en retirant son masque : « Grossière erreur, ma jolie !!! En fait je suis UN GUEPARD !!! ».
S’attendait-il vraiment à ce que j’attrape la bouteille en me tordant de rire, béate d’admiration devant un tel trait d’esprit : « Ah ah ah, du GHB ?!!! Excellent !!! On me l’avait jamais faite celle-là ! Surtout pas entre deux nuages lacrymogènes ! Ca alors, on peut dire que ton sens de l’humour est à l’esprit ce que le 4X4 est à l’automobile ! » ? Je ne crois pas. Je suis même certaine que non. Qu’il en ait été conscient ou pas, cette « blague » n’avait clairement pas pour fonction de créer de la connivence entre lui et moi, mais entre lui et son pote, à mes dépens, alors que j’étais déjà de toute évidence en détresse. Cette connivence, c’est la solidarité masculine, qui se noue à nos dépens à toutes, dont l’humour n’est que l’une des manifestations, tout autant produit que (re)producteur de la chape de plomb recouvrant les violences sexuelles. On ne badine pas avec l’humour. Il ne suffit pas de remettre son costume d’antilope pour annuler l’effet produit par le masque tombé, dévoilant le sourire carnassier.
La plupart des femmes de mon entourage proche ont vécu des viols ou des agressions sexuelles d’hommes qu’elles considéraient comme des camarades. Vous n’avez pas besoin de GHB pour ça, juste de perpétuer le mythe selon lequel les violeurs sévissent ailleurs, loin de vous, vous les mecs biens, ceux à qui leur syndicat a même dispensé une formation antisexiste, ceux qui ont même manifesté pour le droit à l’avortement l’an dernier, ceux qui féminisent même leurs tracts alors que franchement c’est relou, ceux dont la copine est même féministe, « bienvenue chez les ‘pas nous pas nous’ ! » [3] . Un bref saut sur le Tumblr Salut Camarade sexiste suffit à se faire une idée de l’ampleur de la culture du viol dans nos milieux.
Etymologiquement, camarade signifie « celui avec qui l’on partage la chambre ». Tant que vous ferez planer la menace du viol au-dessus de nos têtes, nous ne pourrons pas être camarades. Et nous n’aurons que la moitié de la force que nous aurions si nous étions uni.e.s pour construire un monde sans chasseurs et sans proie.

Notes

[1] J’ai fini par comprendre qu’il s’agissait de Julie Gayet.
[2] « Michel et Jacquie, occupe-toi d’El Khomri ! »
[3] LAMBERT Sabine « Bienvenue chez les ‘pas nous, pas nous », Un troussage de domestiques, DELPHY Christine (coordinatrice), Paris : Syllepse (coll. Nouvelles Questions Féministes), 2011.

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 Dans la lutte : culture de classe et pas culture du viol.

Nous, Front Antipatriarcal (groupe anarchaféministe de la CGA) republions notre communiqué du jeudi 26 mai, en appui à la camarade dénonçant le sexisme et la culture du viol dans les espaces politiques.
Aujourd’hui comme hier, ce n’est que lorsque les femmes se lèvent que le peuple avance !


Banderole pro-viol dans la mobilisation contre la loi travail : pas de quartiers pour les sexistes !
Place de la nation le 26 mai : alors que les matraques, les grenades s’abattent sur les manifestant-es, un cortège d’hommes arrive sur la place, en partie reprise par le cortège combatif de Solidaires.
Au bout de leur bâton : une banderole de 2,5 m de long sur laquellle est dessinée une femme grimaçante qui ressemble à Marianne, dénudée, les fesses dénudées et plus loin un sexe d’homme sur lequel est écrit 49.3. Celui-ci menace de la violer. Quel slogan avec tout ça : "49.3 ça ne passera pas".
Pour toute femme qui la regarde, l’image, la comparaison, sont comme une claques qui assomment.
Déjà, une semaine avant dans la manifestation du 17 mai, notre camarade était insultée en public et traitée de "suceuse de flic" par un membre du SO. Déjà, il y a peu, des femmes ont été agressées, des femmes ont été violée pendant Nuit Debout.
BASTA ! Lutter contre la loi travail et en même temps être le bras armé de l’ordre moral et du patriarcat dans un mouvement social : BASTA !
Anarchafeministes et féministes ont arraché la banderole et lui ont mis le feu, sans oublier de s’en prendre à ses auteurs.
"Camarade" hommes tu veux nous faire oublier que chaque 6 min l’un des tiens nous viole, que chaque deux jours l’une de nous meure sous vos coups, qu’ils espèrent notre silence à chaque insulte, agression.
"Camarade" homme, la lutte ne sera jamais sans les femmes et c’est quand les femmes se lèvent que le peuple avance.
On se passera de diffuser la photo de la banderole par respect pour nos sœurs.
Prédateurs, machistes et hommes violents, nous rendrons coups pour coups. Notre place est partout, la votre nulle part.
Front Antipatriarcal
frontlutteantipatriarcal@gmail.com

P.-S.

Notre texte de présentation du Front Antipatriarcal
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Textes repris du site paris-luttes.info