vendredi 5 août 2016

Libertaires et gauchistes : la question souverainiste


Une organisation communiste-libertaire française titrait sans rire à propos de la farce-référendum britannique : « Brexit : L’Europe capitaliste en échec ». On est resté sans voix rien qu’à la lecture de ce pitoyable titrage de l’auto-persuasion gauchiste encore une fois à coté de la plaque. Espérons que les dernières lubies exprimées dans la presse de cette organisation ne reflète que les pensées d’une infime minorité, mais entre idéologie du blocage forcenée (« Tout bloquer devient vital ») et soutien aux jaunes sectaires (« Syndicats des travailleurs corses : laissons les salarié-e-s juger ») le site internet de ce groupe détient en ce moment la palme de la débilité gauchiste sur le web (étant données les dernières sorties de « Servir le peuple » et du Npa cela relève d’ailleurs de l’exploit). En attendant que certaines tendances de cette organisation publient des textes contradictoires il n’en reste pas moins que seule l’indigence s’exprime pour l’instant. Ainsi « l’Europe capitaliste a été en échec ». C’est vrai qu’un référendum suffit à mettre le capitalisme en échec, il fallait vraiment y penser. Et puis surtout se réduire à penser que le capitalisme « britannique » ne s’accommoderait que d’une interaction avec le capitalisme euro-unioniste révèle une ignorance des différentes tendances contradictoires qui traversent le Capital outre-manche.

Un coupable idéal : le méchant Grand Capital

 A la lecture de l’article dans son intégralité on remarque une chose : ce texte est victime de la pathologie « Grand-Capital ». A l’origine de tous les maux sociaux, le Grand Capital est le coupable idéal. Mais qu’est-ce donc que le Grand Capital ? Les révolutionnaires n’ont jamais eu pour cible historiquement un abstrait « grand capital » (à l’inverse de l’extrême droite) mais un mode de production, le capitalisme, que celui-ci soit « petit », « moyen », « grand », « financier », « industriel », etc. Un rapport social formant un tout et dont il n’est possible d’aliéner quelque partie que ce soit. On sait historiquement comment le léninisme a infusé les intérêts de la petite bourgeoisie (ou des tendances petite-bourgeoises de la paysannerie russe) dans le bolchévisme opportuniste, plus près de nous le mao-poujadisme qui au plus haut de sa gloire groupusculaire (les « années de plomb ») prenaient régulièrement partie en faveur de la petite bourgeoisie commerçante, jusqu’au mouvement fascisant « Bonnets rouges » qui a traîné dans son sillage,- derrière les identitaires de l’Adsav et les énergumènes de la FNSEA (les mêmes qui, quelques semaines plus tard, dans les mêmes marges bretonnes, iront casser la gueule des anticapitalistes de la ZAD)- le Nouveau parti anticapitaliste ainsi que le bidule Organisation communiste libertaire.

Le mythe d’un « vote anticapitaliste »

Mais suivons un peu cette logique journalistique. Le Brexit servirait les intérêts ouvriers et non pas le capitalisme ?  Mettons même de côté l’évidence historique nous apprenant que c’est le capitalisme souverainiste (les années de l’eurosceptique Thatcher et sa répression du mouvement des mineurs) qui a le plus détruit la classe ouvrière britannique. Que constate-t-on à la lecture du compte-rendu du financement de la campagne Brexit ? La campagne a été financé à hauteur de £ 2 099 747 pour le Brexit (seulement … £ 143 de plus pour le « Remain »). Selon leurs intérêts les capitalistes ont soutenu le souverainisme ou le libre-échange européen. Regardons de plus près.
Parmi les financements du Brexit on trouve ainsi :
  • Brexit Express - £145,796
  • Democracy Movement - £422,807
  • Global Britain Limited - £233,329
  • Grassroots Out Ltd - £47,500
  • Labour Leave Limited - £85,000
  • Mr Darren Grimes - £675,315
  • Muslims for GB Limited - £10,000
  • The Bruges Group - £10,000
  • Trade Unionists Against The European Union - £20,000
  • Vote Leave Limited (designated lead campaigner) - £450,000
Premièrement en décortiquant la provenance du financement on remarque par exemple que le financier Peter Hargreaves est le plus gros donateur individuel pour … Leave.eu. Deuxièmement là où il y a du « financement » il y a du Capital, et ce capital a été distribué aussi bien pour le Remain que pour le Leave.

Le mythe du « vote de classe »

 « C’est un vote de classe sans appel qui vient d’infliger un sévère KO aux élites de la bourgeoisie européenne, capitaliste et ultra-libérale. » On a souligné nous-mêmes le terme de classe, tant il est à côté de la plaque. Il n'y a pas de vote de classe  :
1. Un « vote » puisse avoir un caractère de classe, un référendum sur le mode d’exploitation bourgeois, « souverainiste » ou « euro-unioniste », au choix, n’est pas un objectif prolétarien. De surcroît le pouvoir n’organiserait nullement un référendum si l’issue de celui-ci ne servirait une des deux tendances principales de la bourgeoisie britannique.
2. Ce n’est donc pas la classe ouvrière qui a voté en tant que tel et pour ses intérêts, mais des ouvriers isolément, reliés  par la fausse conscience chauvine.

La question du libre échange

« Les perdants de la mise en concurrence exacerbée de tous contre tous ont pris leur revanche. » On est là clairement dans l’illusion xénophobe du travailleur détaché comme « armée de réserve du capitalisme », à mots couverts. On oublie juste de préciser que les perdants de cette « concurrence » ont été aussi des « entrepreneurs » britanniques desservis par un manque de maîtrise légale et logistique. Et que ceux-ci ont trouvé dans le Brexit la défense des intérêts de leurs entreprises à l’intérieur du marché national. Dans le Brexit on trouve même un financement dont les fonds proviennent du Capital en libre-échange avec le Commonwealth colonial.
« Une partie des travailleurs et travailleuses du Royaume-Uni ont exprimé un vote de rejet sans perspectives alternatives claires. » Vraiment ? Pourtant on pouvait penser à la lecture de cet article décidément très brouillon et contradictoire que la perspective était de mettre « le capitalisme en échec ». On nous aurait donc menti ? Finalement ce serait bien une alliance entre un électorat ouvrier chauvin et des intérêts bourgeois ?
La bourgeoisie britannique n’a pas organisé un coûteux référendum pour ou contre la « mise en échec du capitalisme » mais pour un « choix » capitaliste : d’un coté le camp souverainiste et ses alliés du libre-échange avec les Etats-Unis et le Commonwealth, de l’autre coté le camp du libre-échange euro-unioniste.

Un souverainisme très … libéral

« Là-bas comme ici, les politiques d’austérité menées par les gouvernements de gauche comme de droite ont brisé les repères, mais, curieusement, aucun média n’évoque la campagne pour un Brexit de gauche et internationaliste (« Left exit », ou Lexit), portée par l’extrême-gauche et le très combatif syndicat des transports, le RMT (80.000 adhérent.es). » Deux choses : d’une part l’amnésie militante, aveuglée ici par l’inconscient dogmatique de l’analyse immédiate, oublie que c’est la tendance capitaliste du souverainisme qui a liquidé historiquement toute forme de résistance ouvrière sous le règne de l’eurosceptique Thatcher, d’autre part que d’identifier le « Left exit » avec la classe ouvrière anglaise est plus digne d’une interprétation bolchévique (« la classe c’est l’Organisation de la classe ») que de la démonstration de l’autonomie ouvrière. Pour ce qui est d’une interprétation « internationaliste » du « Lexit », confondre le vernis publicitaire avec la pratique réelle de ses composantes confine encore à la plus crasse des manipulations.
Ajoutons à cela que le trader qui a grassement financé Leave.eu, déclarait savourer l’insécurité économique qu’allait engendrer le Brexit et pour enfoncer le clou de son « libéralisme »  concluait par « l’insécurité c’est fantastique ».
«  A nous de convaincre qu’il n’y pas d’issue de secours nationaliste et xénophobe mais que l’alternative autogestionnaire se construira dans les luttes vers une société libérée du capitalisme. » Mais l’alternative autogestionnaire (nationale ou générale ? on commence à craindre un dérapage là) ne peut pas naître sous la bannière de la fausse conscience, et c’est bien l’issue de secours nationaliste-libérale, attelage logique d’hooligans xénophobes et de millionnaires libéraux, qui l’a emporté.

 Ouvriérisme caricatural et dérive xénophobe

Tandis qu’une poignée de gauchistes et libertaires français ignorant tout de la situation locale se posait en donneurs de leçon, une bonne partie des groupes révolutionnaires anglais comprenait le danger de la mise à flot de cette fange souverainiste, tout en maintenant leur opposition à l’euro-unionisme.
Cet exemple est significatif de la dérive chauvine d’une grande partie des gauchistes et des libertaires. Tout d’abord on a le droit à l’ouvriérisme caricatural de ces milieux militants. Sans comprendre que la classe ouvrière anglaise ne se réduit pas aux stéréotypes bruyants et désormais minoritaires, qui ont été étalé publicitairement par la presse bourgeoise classiste, mais plus largement encore il convient de rappeler que si une grande partie de la classe ouvrière britannique est « desservie » par la libre-concurrence , une autre partie, dans d’autres secteurs de l’économie moderne britannique « en profite » (en terme de « chance » d’accès à l’exploitation salariale face à la « concurrence » de la main d’œuvre européenne – voir en ce sens également la sortie xénophobe du leader du Parti de gauche), et prendre partie pour l’une ou l’autre c’est se leurrer sur les capacités des solutions, souverainiste ou de libre-échange, à apporter quoi que ce soit à la classe ouvrière britannique. Confondre à ce point « libéralisme » et « libre-échange » illustre encore une fois l’indigence conceptuelle d’une grande partie de la militance gauchiste et libertaire.

Encore une fois, ici, la mécanique gauchiste est à l’œuvre pour plier le réel à ses fantasmes. C’est cette même mécanique qui, plus proche de nous géographiquement, à conduit une partie de ces misérables troupes à soutenir le petit patronat fascisant du mouvement « Bonnets rouges » en Bretagne, où l’on retrouvait exactement les mêmes ingrédients : souverainisme local, alibi ouvriériste caricatural et alliance de classes.