vendredi 22 juillet 2016

Le retour de la grève sauvage ?

Le cas des Etats-Unis : un aperçu critique

Ces derniers mois les observateurs et les bureaucrates syndicaux américains ont été surpris par l’irruption de trois grèves sauvages majeures à travers les Etats-Unis. Sont-elles l’amorce d’un activisme ouvrier autonome ?
Une grève sauvage arrive toujours sans préavis légal. Une telle action s’engage toujours à la fois contre les employeurs et contre les syndicalistes officiels. Aucune affiliation syndicale n’est donc revendiquée en règle générale.
Le mouvement ouvrier américain du 21ème siècle illustre cette nouvelle vitalité de travailleurs organisés en dehors des équipes syndicales et de leurs ressources matérielles.

Le retour soudain de la grève sauvage

Les dockers des ports de New York et du New Jersey ont lancé une première grève sauvage le vendredi 29 janvier. La grève surprise a coûté des centaines de milliers de dollars en quelques heures au business portuaire de l’importation (et exportation) des marchandises.
La grève a marqué les observateurs par sa spontanéité fulgurante, les industriels sont restés sans voix devant une telle situation inédite, se questionnant sur sa signification, et surtout, sur son renouveau probable à l’avenir.

Le lundi suivant les employés-chauffeurs du groupe Uber, toujours à New York, lancèrent une grève de 24 heures et un rassemblement devant le siège de l’entreprise pour protester contre leur statut de « sous-traitants » prolétarisés.
Bien que planifiée au moins un jour ou deux à l’avance cette grève sauvage a été organisée par un réseau informel « Uber Drivers United », également en coordination informelle avec la Taxi Workers Alliance. Uber s’est auto-proclamé , selon ses fondateurs de la Silicon Valey, comme les fossoyeurs des règles sociales et se vantaient d’être sans syndicats. Les grévistes n’ont pas réclamé de reconnaissance syndicale mais simplement la satisfaction de leurs revendications contre les baisses de salaire.
Plus tôt en janvier encore, une fraction des enseignants de Détroit menée par Steve Conn (ancien dirigeant de la Detroit Federation of Teachers) orchestra une grève sauvage dont l’objectif tactique était de s’appuyer sur l’auto-organisation de l’ensemble des travailleurs de l’éducation, c'est-à-dire les non-syndiqués.
Depuis Conn a tenté de mettre en place un syndicat alternatif (dégénérescence coutumière des luttes catégorielles) la « Detroit Teachers Union ». Cependant, d’une façon générale, les enseignants occidentaux étant habitué à un certain corporatisme de service ils sont majoritairement restés fidèles à la DTF même si ombre d’entre eux souhaitait prendre part au conflit amorcé par la DTU. Bien entendu la DTF a dénoncé le mouvement « basiste » des enseignants de Détroit. Si on ajoute à cela le faitque le Michigan a une législation férocement ultra-droite sur les grèves (pour les benêts qui pensent encore qu’il existe une étanchéité entre le fascisme et la « démocratie » c’est encore raté …) et qu’un syndicat risque gros en s’impliquant d’une façon ou d’une autre dans une grève sauvage, on imagine à quel point les bureaucrates de la DTF se sont tenus à carreaux, laissant seuls les enseignants de la DTU aller au charbon.

Un avenir pour les grèves sauvages ? Une tendance convergente pour le futur ou un hasard ?

Historiquement la plupart des grèves de masse aux Etats-Unis ont été lancées « par en bas ». Une grande partie provenant de grèves sauvages se propageant ensuite malgré l’opposition des syndicalistes. Parfois les leaders syndicaux prenaient en main le mouvement puis négociaient avec les patrons.
Au total seulement deux grèves massives américaines ont été planifiées et dirigées par les leaders syndicaux. La première d’entre elle juste après la Seconde Guerre mondiale afin de réclamer de meilleures conditions de vie, la seconde au fil des années soixante/soixante-dix mais circonscrites au secteur public.
Il va s’en dire que le mouvement syndical a capitalisé sur sa réputation à partir de ces deux mouvements massifs, laissant croire qu’ils sont capables d’organiser des luttes et d’obtenir satisfaction à leurs revendications. Pouvant même laisser croire, comme les crétins de Nuit Debout récemment en France, qu’une grève de masse est le produit exclusif  du volontarisme syndical, qu’il suffit d’un claquement de doigts des bureaucrates pour commencer (et finir aussi surtout, non ?) une « grève générale ».



Ces trois grèves sauvages représentent les limites de ce terme pris au sens strict une grève sauvage n’a pas forcément un contenu de classe subversif lorsque celle-ci se borne à des revendications catégorielles péri-syndicales (les enseignants de Détroit) ou lorsque l’identification à la classe ouvrière est absente (le rêve petit-bourgeois des employés d’Uber à « se mettre à son compte »). La sauvagerie en cela ne doit pas être seulement dans la forme mais également dans le contenu, par le dépassement quantitatif et qualitatif de la lutte primitivement catégorielle vers une lutte de classes, donc une lutte transcendant les limites locales, statutaires et professionnelles des grévistes. En cela, « l’idéologie de la grève sauvage » telle qu’elle a pu être fabriquée  par des groupes confus comme Informations et correspondances ouvrières (dont l’un des co-fondateurs était l’universitaire bourgeois Claude Lefort) est une impasse.
Cependant la « grève sauvage » (dans son sens intégral, c'est-à-dire « sauvage » tant au niveau de son auto-organisation que du refus de l’identification aliénée catégorielle) reste une nécessité, non pas comme une fin en soi mais comme expression (à dépasser dans une lutte de classe plus large) d’une autonomie ouvrière face aux machines syndicales.