samedi 25 février 2017

Sail Mohamed, anarchiste Algérien, anticolonialiste.




Sail Mohamed Ameriane ben Amerzaine est né le 14 octobre 1894 à Tarbeit-Beni-Ouglis, en Kabylie.
Comme beaucoup d’Algériens d’alors il fut très peu scolarisé. Chauffeur-mécanicien par nécessité, toute sa vie il fut assoiffé de culture et fit beaucoup d’effort pour s’auto-éduquer. D’une famille berbère musulmane il devint un athée convaincu. Pendant le Première guerre mondiale il fut interné pour insubordination et désertion de l’armée française. Ses sympathies pour l’anarchisme se développaient déjà.
A la fin de la guerre, avec la reconstruction du mouvement anarchiste, il rejoignit l’organisation Union anarchiste (UA). En 1923, avec son ami Sliman Kiouane, un chanteur, il fonda le Comité de Défense des Indigènes Algériens. Dans ses premiers articles il dénonça la pauvreté de la population colonisée et l’exploitation coloniale. Il devint un expert de la situation nord-africaine. Il organisait des réunions en langues Arabe et Française avec les groupes anarchistes du 17ème arrondissement de Paris sur le thème de l’exploitation des nord-africains. Sail créa un groupe anarchiste à Aulnay-sous-Bois et devint un de ses militants les plus impliqués.
En 1929, il devint secrétaire d’un nouveau comité : le Comité de Défense des Algériens contre le Centenaire de la Provocation (la France se préparait à célébrer le centenaire de la conquête de l’Algérie du 5 juillet 1830). Toutes les tendances du mouvement anarchiste, l’UA, les anarcho-syndicalistes de la CGT-Syndicaliste-Révolutionnaire et le Fédéralistes dénoncèrent le « colonialisme meurtrier, la mascarade sanguinaire ». Ils mirent en avant le mot d’ordre : « Civilisation ? Progrès ? Nous disons meurtre ! ». En conséquence Sail rejoignit les anarcho-syndicalistes de la CGT-SR au sein de laquelle il créa la Section des Algériens indigènes. L’année suivante, avec l’Exposition Coloniale de Paris, le mouvement anarchiste redémarra sa campagne contre le colonialisme. Sail était au premier plan de cette lutte.

L’Eveil Social
En janvier 1932, il devint le responsable légal de l’Eveil Social. A la suite d’un article anti-militariste il fut traduit en justice pour « provocation à la désobéissance militaire ». Le Secours Rouge International, une organisation satellite du Parti communiste, lui apporta son soutien, soutien qu’il rejeta au nom de victimes du stalinisme.
En 1934, l’ « Affaire Sail Mohamed » éclata. La manifestation des Ligues antisémites et fascistes du 6 février 1934 provoqua une réaction en chaine à travers le mouvement ouvrier. Said récolta des armes et les cacha. Le 3 mars il fut arrêté pour « port d’armes prohibées ». Le mouvement ouvrier lui apporta alors tout son soutien, à l’exclusion du Parti Communiste, qui le dénonça comme agent provocateur. Condamné à un mois de prison, puis un autre mois de plus pour « détention d’armes de guerre », il finit par rester quatre mois en prison. Libéré, il reprit la lutte.
L’Eveil Social fusionna avec Terre Libre (le mensuel de l’Alliance Libre des Anarchistes du Midi de Paul Roussenq). Sail avait la charge de la version nord-africaine de Terre Libre. Il tenta d’établir un Groupe Anarchiste des Indigènes Algériens, sous différentes appellations dans la presse anarchiste. En même temps il continua à être actif au sein de l’Union anarchiste.

L’Espagne
A la suite du coup d’Etat franquiste en Espagne, Sail rejoignit le groupe Sébastien Faure, section francophone de la milice anarchiste « Colonne Durruti » en septembre 1936 et finit par en être le commandant. Blessé à la main en novembre 1936, il retourna en France après avoir diffusé de nombreuses lettres décrivant la situation du mouvement anarchiste espagnol.
Après que sa blessure fut guérie, il prit part à de nombreuses mobilisations concernant la situation espagnole avec l’Union anarchiste. Immédiatement après cette série de mobilisations il participa à un meeting par des organisations révolutionnaires à Paris pour protester contre la censure de l’Etoile Nord-Africaine, édité par Messali Hadj, et contre la répression des manifestations en Tunisie qui firent en tout au moins 16 morts. Encore une fois il fut arrêté pour « provocation de l’armée » et fut condamné à 18mois de prison en décembre 1938.
Au début de la Seconde Guerre mondiale il fut de nouveau arrêté et envoyé au camp de concentration de Riom. Sa grande bibliothèque fut détruite après un raid policier. Il s’échappa alors, s’établit de faux papiers et entra dans la clandestinité pendant tout el temps de l’Occupation.
A partir de 1944 il oeuvra, avec d’autres, à la reconstruction du mouvement anarchiste. A la Libération il créa de nouveau le groupe d’Aulnay-sous-Bois, et essaya de reformer le Comité des Anarchistes Algériens. Dans Le Libertaire il écrivit un éditorial sur la situation en Algérie. Il publia également une série d’articles sur la « Cavalerie des Indigènes Algériens ».
Il décéda en avril 1953. Le communiste libertaire George Fontenis lui rendit hommage au nom du mouvement anarchiste lors de ses funérailles le 30 avril 1953.

Traduction Contre Capital d’un article du journal anarchiste Organise! #58. 

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"La mentalité kabyle",
par Mohamed SAÏL
Paru dans Le Libertaire n° 257, 16 février 1951.
A maintes occasions, j’ai parlé dans ces colonnes du tempéra­ment libertaire et individualiste caractérisé de mes compatriotes berbères d’Algérie . Mais aujourd’hui, alors que la caverne d’Ali Baba d’outre-mer craque et croule, je crois utile d’affirmer, contre tous les pessimistes professionnels ou les rêveurs en rupture de places lucratives que l’Algérie libérée du joug colonialiste serait ingouvernable au sens religieux, politique et bourgeois du mot. Et je mets au défi toutes les canailles prétendant à la couronne d’apporter la moindre raison valable et honnête à leurs aspirations malsaines, car je leur oppose des précisions palpables et contrôlables, sans nier cependant que leur politique a quelque succès quand il s’agit d’action contre le tyran colonialiste.
Il faut voir l’indigène algérien, le Kabyle surtout, dans son mi­lieu, dans son village natal et non le juger sur son comportement dans un meeting, manifestant contre son ennemi mortel : le colo­nialisme.
Pour l’indigène algérien, la discipline est une soumission dégra­dante si elle n’est pas librement consentie. Cependant, le Berbère est très sensible à l’organisation, à l’entraide, à la camaraderie mais, fédéraliste, il n’acceptera d’ordre que s’il est l’expression des désirs du commun, de la base. Lorsqu’un délégué de village est désigné par l’Administration, l’Algérie le considère comme un en­nemi.
La religion qui, jadis, le pliait au bon vouloir du marabout, est en décadence, au point qu’il est commun de voir le représentant d’Allah rejoindre l’infidèle dans la même abjection. Tout le monde parle encore de Dieu, par habitude, mais. en réalité plus personne n’y croit. Allah est en déroute grâce au contact permanent du tra­vailleur algérien avec son frère de misère de la métropole, et quel­ques camarades algériens sont aussi pour beaucoup dans cette lutte contre l’obscurantisme.
Quand au nationalisme que j’entends souvent reprocher aux Algériens, il ne faut pas oublier qu’il est le triste fruit de l’occupation française. Un rapprochement des peuples le fera disparaître, comme il fera disparaître les religions. Et, plus que tout autre, le peuple algérien est accessible à l’internationalisme, parce qu’il en a le goût ou que sa vie errante lui ouvre inévitablement les yeux. On trouve des Kabyles aux quatre coins du monde ; ils se plaisent par­tout, fraternisent avec tout le monde, et leur rêve est toujours le sa­voir, le bien-être et la liberté.
Aussi, je me refuse à croire que des guignols nationalistes puis­sent devenir un jour ministres ou sultans dans le dessein de soumet­tre ce peuple, rebelle par tempérament.
Jusqu’à l’arrivée des Français, jamais les Kabyles n’ont accepté de payer des impôts à un gouvernement, y compris celui des Ara­bes et des Turcs dont ils n’avaient embrassé la religion que par la force des armes. J’insiste particulièrement sur le Kabyle, non pas parce que je suis moi-même Kabyle, mais parce qu’il est réellement l’élément dominant à tout point de vue et parce qu’il est capable d’entraîner le reste du peuple algérien dans la révolte contre toute forme de centralisme autoritaire.
Le plus amusant de l’histoire, c’est que la bande des quarante voleurs ou charlatans politiciens nous représente le nationalisme d’outre-mer sous la forme d’une union arabe avec l’emblème mu­sulman et avec des chefs politiques, militaires et spirituels à l’image des pays du Levant. J’avoue que le dieu arabe de nos sinistres pan­tins d’Algérie a bien fait les choses, puisque la guerre judéo-arabe nous révéla que les chefs de l’islamisme intégral ne sont rien d’autre que de vulgaires vendus aux Américains, aux Anglais, et aux Juifs eux-mêmes, leurs prétendus ennemis. Un coup en traître pour nos derviches algériens, mais salutaire pour le peuple qui commence à voir clair.
Pensez donc, un bon petit gouvernement algérien dont ils se­raient les caids, gouvernement bien plus arrogant que celui des roumis, pour la simple raison qu’un arriviste est toujours plus dur et impitoyable qu’un "arrivé" ! Rien à faire, les Algériens ne veulent ni de la peste, ni du choléra, ni d’un gouvernement de roumi, ni de celui d’un caid. D’ailleurs, la grande masse des tra­vailleurs kabyles sait qu’un gouvernement musulman, à la fois re­ligieux et politique, ne peut revêtir qu’un caractère féodal, donc primitif. Tous les gouvernements musulmans l’ont jusqu’ici prouvé.
Les Algériens se gouverneront eux-mêmes à la mode du Village, du douar, sans députés ni ministres qui s’engraissent à leurs dé­pens, car le peuple algérien libéré d’un joug ne voudra jamais s’en donner un autre, et son tempérament fédéraliste et libertaire en est le sûr garant. C’est dans la masse des travailleurs manuels que l’on trouve l’intelligence robuste et la noblesse d’esprit, alors que la horde des "intellectuels" est, dans son immense majorité, dénuée de tout sentiment généreux.
Quant aux staliniens, ils ne représentent pas de force, leurs membres se recrutent uniquement parmi les crétins ou déchet du peuple. Car l’indigène n’a guère d’enthousiasme pour se coller une étiquette, qu’elle soit mensongère ou superfasciste.
Pour les collaborateurs, policiers, magistrats, caïds et autres né­griers du fromage algérien, leur sort est réglé d’avance : la corde, qu’ils valent à peine.
Pour toutes ces raisons, mes compatriotes doivent-ils être consi­dérés comme d’authentiques révolutionnaires frisant l’anarchie ? Non, car s’ils ont le tempérament indiscutablement fédéraliste et libertaire, l’éducation et la culture leur manquent, et notre propa­gande, qui est cependant indispensable à ces esprits rebelles, leur fait défaut
C’est ce pourquoi oeuvrent nos compagnons anarchistes de la fé­dération nord-africaine.