mardi 10 octobre 2017

Venezuela : Crise, manifestations, lutte politique inter-bourgeoise et menace de guerre impérialiste


– Le Venezuela est en crise parce que le capitalisme est en crise ; ou plutôt, la crise capitaliste mondiale s’exprime sous une forme dépouillée, brute et scandaleusement visible au Venezuela, non seulement au niveau économique, mais aussi politique, social, idéologique et probablement géopolitique et militaire maintenant et à l’avenir.
– La situation actuelle au Venezuela est une démonstration de l’échec des gouvernements du « socialisme du XXI° siècle » de gérer efficacement la crise capitaliste. Ce qui se passe, c’est que le Capital et sa crise sont ingouvernables : c’est le Capital qui gouverne la société et donc l’État, et non l’inverse. Croire le contraire est naïf, en revanche faire semblant de le faire, c’est du réformisme.

– Le gouvernement du Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV), comme un bon capitaliste qu’il est, ne peut que « décharger » ou « faire payer les pots cassés » aux prolétaires : pénuries, inflation, sous-emploi, chômage, paupérisation. C’est-à-dire austérité et misère. Ce qui donne comme conséquence logique de nouvelles manifestations de rue contre de telles conditions matérielles d’existence, comme celles de février-avril de cette année (et comme celles de février de l’année dernière, évidemment). Ensuite, ce gouvernement, en fonction de son rôle, ne peut qu’opter pour la répression : les lois répressives « d’exception » adoptées par le Congrès (tel la résolution 008610, ce qui permet à la police de réprimer les manifestations à balles réelles), la mort conséquente de quelques jeunes manifestants par la police, etc. Bien qu’il se justifie en disant qu’il a agi contre « la droite déstabilisatrice et putschiste, qui complote avec l’impérialisme américain » et même qu’il « regrette la mort de ces étudiants », il est évident que le gouvernement de Maduro – comme tous les gouvernements de gauche – n’est pas le moins du monde révolutionnaire. (Encore une fois, il est à noter que Rousseff et Correa font essentiellement la même chose dans leurs pays respectifs.)
– Bien que lors des manifestations de l’année dernière notre classe ait revendiqué ses besoins matériels par l’action directe contre le Capital et l’État (pillages, barricades, jets de pierres, attaques de sièges de partis, etc.) ; bien que cette année, elle soit une nouvelle fois descendue dans les rues pour protester contre la pénurie et « contre le régime » ; et bien que la misère et la répression subie aujourd’hui puisse la pousser à se débarrasser de tant d’années de « chavisme » et de « missions sociales », le problème est que le prolétariat au Venezuela – comme dans beaucoup d’autres régions – est encore faible ; c’est-à-dire qu’il ne parvient pas encore à se réorganiser et agir avec autonomie et puissance, avec ses propres revendications et organisations, en tant que force sociale réelle, comme classe de négation. Mais il ne faudrait pas pour autant exclure la possibilité d’une explosion de colère prolétarienne incontrôlable tant pour le gouvernement que pour l’opposition, l’émergence d’un prolétariat sauvage au Venezuela précisément en raison des conditions difficiles dans lesquelles survit actuellement notre classe. En fin de compte, nos besoins humains en tant que prolétaires, insatisfaits ou niés par la propriété privée et l’argent, se trouvent partout en opposition matérielle et totale avec les besoins de l’accumulation et la gestion du Capital ; de sorte que l’antagonisme structurel et latent entre la classe capitaliste et le prolétariat peut exploser tôt ou tard ; en particulier dans les situations de crise, puisque celle-ci peut à son tour réchauffer ce « terrain fertile » de la lutte prolétarienne contre le Capital et son État.
– Depuis les étudiants ayant de faibles revenus, en passant par les chômeurs et les sous-employés « informels » dans les rues, qui au Venezuela (et en Amérique latine en général) prolifèrent dans la misère, et qui de plus sont ceux qui résident dans les banlieues et les campements périphériques. Ainsi que les prolétaires « indigènes » et « paysans » d’autres provinces, qui se sont déjà affrontés à plusieurs reprises aux entreprises pétrolières, minières, charbonnières, ces dernières étant soutenues par les forces de l’ordre du socialisme du XXI° siècle ; sans oublier les différents secteurs de la classe ouvrière qui ont protesté pour des questions revendicatives : les licenciements, les salaires, les services, etc. Ils constituent tous le prolétariat en lutte, et leur présence dans les rues, suscitant ainsi des tentatives de révolte, le prouve. Il est donc tout à fait stupide de considérer les protestations comme s’il s’agissait d’un mélange homogène qui obéit exclusivement aux objectifs de la Table de l’Unité Démocratique. « Opposition fasciste » ou « agents impérialistes » sont quelques-uns des surnoms ridicules que nous voyons tous les jours dans tous les médias de la gauche rance pour désigner ceux qui luttent contre leurs misérables conditions d’existence… Il est nécessaire une fois pour toute de rompre avec toutes ces fausses interprétations réductionnistes qui ne font que défendre à tout prix le réformisme progressiste orné de drapeaux anticolonialistes.
– Nous avons dit qu’une révolte prolétarienne au Venezuela est une possibilité et non quelque chose d’« inévitable », car penser cette dernière serait mécaniciste et conserver de fausses attentes. En outre, parce que ce serait stupide et irresponsable de ne pas remarquer que tant le gouvernement que la droite vénézuéliens peuvent, comme toujours, pêcher en eaux troubles ou encadrer la mobilisation pour démobiliser tout le mouvement. En effet, le gouvernement de Maduro, de fait, profite déjà de la menace des USA contre le Venezuela pour protéger davantage son appareil d’État et pour masquer ou faire passer à l’arrière-plan la crise et la lutte des classes internes, appelant au « patriotisme », à la « souveraineté », à la « solidarité anti-impérialiste » et au passage exhorter au sacrifice pour « l’économie nationale ». Et la droite vénézuélienne (représentée par la dénommée Table de l’Unité Démocratique – MUD), car elle est évidemment soutenue par l’impérialisme nord-américain et parce que, en cas d’invasion, elle remplacerait le pouvoir politique. L’histoire politique régionale et mondiale montre qu’il en est ainsi et qu’il n’y a aucun doute à ce sujet. Face à cela, nous précisons que la rupture et l’autonomie prolétariennes que nous jugeons nécessaires d’apparaître au Venezuela, seront non seulement en dehors et contre le gouvernement de gauche de Maduro ou la bourgeoisie « bolivarienne », mais aussi en dehors et contre l’opposition de droite vénézuélienne, cette bourgeoisie « oligarchique », rance et ultraréactionnaire. Non seulement en dehors et contre telle ou telle fraction du Capital-État, mais en dehors et contre tout le Capital-État lui-même. Tout cela signifie et implique, dans ce cas concret, de ne pas participer à la lutte politique inter-bourgeoise gouvernement contre opposition, de ne pas jouer leur jeu, mais au contraire : de les déborder, rompre avec eux, assumer la lutte des classes pour défendre, généraliser et imposer nos besoins humains sur ceux du Capital, nos propres revendications de classe au moyen de nos propres structures de lutte. Ce qui, à son tour, pourrait conduire à une révolte, puis d’assumer la nécessité de lutter pour la révolution sociale ou totale ; pas pour une révolution politique, partielle, bourgeoise (où la droite reprend le pouvoir politique ou encore la gauche le conserve), et encore moins pour que cela débouche sur la guerre impérialiste qui transforme le prolétariat en chair à canon (dans le cas où les USA envahiraient le Venezuela). L’existence ou l’émergence de minorités révolutionnaires militantes et actives au Venezuela – dont nous n’avons pas encore de signe réel et convaincant –, devrait être l’une des principales tâches du moment. Ou peut-être que le prolétariat au Venezuela – y compris ses minorités radicales – ne réagira et ne luttera contre ses ennemis mortels de classe que lorsque la guerre sera en train de tuer des milliers de prolétaires dans les rues et aux frontières, non plus seulement de faim, mais aussi avec des balles de la part des deux États ? La vraie lutte de classe aura le dernier mot.
– Tous les gouvernements socialistes, nationalistes et anti-impérialistes qui ont existé ont été, sont et seront capitalistes, la « révolution bolivarienne » laisse intacte l’État national, la propriété privée et le commerce extérieur et intérieur, éléments fondamentaux du système capitaliste ; les gouvernements de gauche et progressistes sont différents dans la forme mais pas dans le contenu de leurs rivaux de droite et impérialistes. Leurs luttes, y compris leurs guerres, sont inhérentes, inévitables et nécessaires pour que ce système fonctionne et survive : le capitalisme ne peut exister ou être tel sans concurrence et sans guerre. (En outre, il n’y a pas eu de guerre de défense de la souveraineté nationale et/ou de libération nationale qui n’ait été partie de fait d’une guerre inter-impérialiste.) Mais ces luttes inter-capitalistes continueront simplement d’occuper un rôle de premier plan jusqu’à ce que le prolétariat réapparaisse sur la scène avec force et autonomie pour contester l’ordre existant. Ensuite, les deux fractions bourgeoises qui sont aujourd’hui des adversaires s’uniront ouvertement et sans apparences en un seul parti – le parti de l’ordre, de la réaction et de la démocratie – contre notre classe, car avant tout ils préfèreront s’allier que voir chanceler le système qui leur assure la puissance et la domination.
– Ce tableau émergent serait encore plus catastrophique si la Chine et la Russie se décidaient à soutenir le Venezuela même militairement, non par « affinité idéologique » ou par « anti-impérialisme », mais parce que ces deux puissances émergentes de l’Est doivent se soucier de leurs puissants intérêts économiques et géostratégiques aussi bien dans ce pays qu’en Amérique du Sud en général. De leur côté, comme ces derniers temps les USA ont perdu du terrain et du pouvoir dans d’autres régions, aujourd’hui ils retournent dans leur « arrière-cour » de toujours pour l’utiliser comme un « joker » de leur politique de suprématie « unipolaire » en déclin. Ainsi, le conflit ne porte pas seulement sur le pétrole et le contrôle territorial, mais aussi sur une partie de l’hégémonie mondiale même. La Libye, l’Irak et/ou l’Ukraine au Venezuela ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, les tambours de la guerre impérialiste résonnent en Amérique du Sud, ou plus exactement ceux de l’invasion militaire américaine du territoire de l’État vénézuélien.
– La « violation des droits de l’homme » par ce gouvernement de gauche (comme si aucun État n’exerçait son terrorisme répressif ! Hypocrites !) n’est rien de plus qu’un prétexte vraisemblable pour brandir un discours de « manque de liberté au Venezuela ». Les USA ont déjà utilisé des excuses semblables à cet effet, il y a quelques années à propos de la Libye et de l’Irak [et actuellement en Syrie] – ainsi qu’à la veille de quelques guerres durant le 20° siècle. Non, ce n’est pas un « manque de démocratie », mais c’est partout la même démocratie qui nous réprime, emprisonne, torture, assassine ; parce que la démocratie, en réalité, c’est la dictature « légale et légitime » du Capital sur le prolétariat. Rappelons-nous aussi qu’avec ce prétexte, les USA ont déjà mené plusieurs guerres dans diverses régions périphériques ou « non-occidentales » de la planète. Alors, vous voulez le faire pour le pétrole ? Bien sûr que si, compte tenu des grandes réserves d’« or noir » que possède le Venezuela, ainsi que les principaux accords pétroliers entre la « bolibourgeoisie » et Chevron, dans le sens de monopoliser le marché international du pétrole dans cette région (comme disait Marx, la concurrence et le monopole ne sont pas des pôles antagoniques mais complémentaires, les deux faces d’une même pièce de monnaie ; et comme les bourgeois et leurs économistes ont l’habitude de dire : « en affaires, il n’y a pas d’amis »). Plus en profondeur encore, étant donné que le pétrole c’est de l’énergie et que l’énergie est l’élément vital de l’économie, à savoir qu’il est une activité lucrative en soi ainsi qu’une soupape d’échappement pour l’actuelle crise capitaliste mondiale. Ce qui, cependant, sera « plus cher » et catastrophique à l’avenir en raison de l’actuelle « crise pétrolière » et de tous les désastres et conflits que cela implique. Cependant, le pétrole n’est pas encore la principale cause de ce drame ou des tensions internationales dans la région.
– La bourgeoisie américaine et le Pentagone ne sont pas stupides, ni ne restent les bras croisés. Tout le contraire. Si ni un gouvernement de gauche ni l’opposition de droite n’ont été en mesure de gérer la crise capitaliste dans une partie importante de leur « arrière-cour », le « risque » existe aussi que dans ce pays le prolétariat (ce « fantôme » que craint tellement toute bourgeoisie) ré-émerge de manière explosive et hors de contrôle, comme une véritable force, autonome et indomptée. Alors, s’agit-il d’une « émeute de la faim » potentielle et contre l’État au Venezuela ? Face à cette menace, les USA ne peuvent pas échouer à remplir leur rôle de gendarme ou de police mondiale : voilà une des nécessités d’intervention armée au Venezuela. Et peut-être ne faut-il pas attendre qu’une telle révolte potentielle ne se produire, mais plutôt anticiper les mouvements visant à « la prévenir ». En conclusion, comme toujours la guerre impérialiste consiste à écraser toute tentative révolutionnaire et à repolariser le pouvoir de la bourgeoisie. La guerre, c’est toujours la guerre contre le prolétariat. Dans ce cas précis, il s’agit de « neutraliser » la contradiction fondamentale et réelle, de fond : l’antagonisme de classe et toute tentative de révolution radicale.
– En outre, ce n’est pas seulement à cause de la menace d’un prolétariat sauvage dans ce pays que les USA mèneraient la guerre impérialiste au Venezuela, mais parce qu’ils ont déjà un problème potentiel « chez eux » : le mouvement des manifestations et des émeutes déclenché dans les villes de Ferguson, Baltimore, Oakland et Charlotte ces quatre dernières années. Autrement dit, les USA feraient également la guerre afin de se renforcer et de gagner la guerre contre le prolétariat qu’ils mènent sur leur propre territoire : par exemple, l’enrôlement dans l’armée de jeunes prolétaires (des noirs, des latinos et des blancs) pour qu’ils aillent tuer et mourir dans d’autres pays, et ainsi éviter qu’ils trainent dans les rues comme des « paresseux » et des « vandales ». Ce qui pourrait paradoxalement se transformer en un boomerang, et il y a déjà quelques indices ou signes de cela. Ceci est un autre fait qui justifie l’importance aujourd’hui de la relation internationale entre le Venezuela et les USA ainsi que la situation intérieure dans les deux pays, dans le sens de manifester la dialectique historique concrète entre la guerre de classe et la guerre impérialiste.
– Par ce fait même, le seul qui puisse arrêter et inverser la guerre impérialiste dirigée par les USA dans pratiquement le monde entier, c’est le prolétariat non seulement des pays en guerre (de manière réelle ou potentielle) mais aussi le prolétariat de tous les pays et de toutes les régions, de toutes les « couleurs » ou « races », agissant comme une seule force mondiale et historique contre un seul ennemi : le Capital-État mondial. La seule façon d’en finir vraiment et radicalement avec la guerre et le capitalisme, c’est la révolution prolétarienne mondiale. Mais pour cela, il est d’abord nécessaire que notre classe s’assume en tant que telle, en tant que prolétariat, en tant que classe antagonique au Capital ; une classe qui dépasse les séparations (nationales, raciales, sexuelles, idéologiques, etc.) qui lui sont imposées ; qui se réapproprie son programme historique et qui lutte pour l’imposer ; qui se bat pour ses propres revendications avec ses propres formes d’association et méthodes de lutte de classe ; qui assume qu’elle n’a pas de patrie et qui pratique l’internationalisme prolétarien, en luttant contre « ses propres » bourgeoisies et États nationaux, et contre tout nationalisme et régionalisme (qui sont des entraves idéologiques et identitaires si profondément enracinées en Amérique latine) ; qui à la guerre impérialiste, lui oppose le défaitisme révolutionnaire et la transforme en guerre de classe révolutionnaire et mondiale. Il nous faut un sujet révolutionnaire. Mais cela ne se reconstitue qu’à la chaleur de la lutte des classes même et, comme le montre l’histoire, après de nombreuses défaites. Combien de défaites supplémentaires seront nécessaires, frères prolétariens dans le monde entier ?
– Il se peut que nous soyons en avance sur les faits, mais si une telle chose ne finit pas par se concrétiser, ou si les USA n’envahisse pas le Venezuela, nous l’exclamerons pareillement et continuerons de l’exclamer parce qu’aujourd’hui (comme toujours), peu importe où on regarde, nous sommes en guerre. Le Capital et son État ont toujours été, sont et seront en guerre permanente contre notre classe pour nous maintenir exploités et dominés, divisés et faibles, annihilés et détruits en tant que classe. Ensuite, pour défendre et récupérer nos vies, il est temps que les prolétaires assument la guerre de classe et passent à l’offensive contre leurs ennemis. Partout et jusqu’à la fin…
Prolétaires qui vivez au Venezuela et partout ailleurs :
Ni gouvernement, ni opposition, ni invasion !
Aucun sacrifice pour aucune nation !
Contre la guerre inter-capitaliste et impérialiste : lutte de classe autonome, anticapitaliste, antiétatique et internationaliste !
La Révolution Prolétarienne Mondiale ou la Mort !
Proletarios Revolucionarios*
[Prolétaires Révolutionnaires]
* (Nous avons légèrement modifié certains paragraphes du texte afin d’en stimuler la lecture, sans bien sûr en altérer le contenu et les positions exposées, puisque nous sommes complètement d’accord avec celles-ci). [Ndr]

Auteur : Proletarios Revolucionarios
Traduction : Tridni Valka
Illustrations : Contre Capital